Poèmes pour Piéco
Poèmes de Marie-Céline
A la mémoire de « Piéco » (mon époux)
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« Pierre me demande » 18 mai 91
P
ierre me demande : qu’est-ce que tu vas faire de tout l’amour que tu as pour moi ?
-Je te ferai une ville qui s’appellera Marie-Céline. Je la construirai avec toi puisque tu es Pierre.
Il y aura des balcons accrochés au ciel bleu, fleuris de géraniums vermillon.
Il y aura des rues aux horizons qui s’enrouleront sur des pelotes aux fils infinis.
Il y aura des animaux qui ronronneront.
Dans cette ville, les peintres, les conteurs et les boulangers exposeront l’amour qu’ils ont pour leur art, et tous les gens fatigués y rêveront pour puiser de l’amour de vivre.
Je bâtirai cette ville entre le soleil-planète et la planète soleil, l’accès en sera difficile et il sera encore plus difficile de la quitter, car elle se fera tant aimer que chaque visiteur en emportera une pierre sans savoir pourquoi.
« Ton univers » novembre 91
Les arbres sont rouges
Les arbres sont verts
Est-ce l’automne
Ou bien l’hiver ?
Qu’est-ce que ça bouge,
Dans ton univers !
C’est fou, ça détonne !
Ta palette a mille tons
Tes saisons n’ont pas le temps,
Elles surprennent et c’est tout,
Elles accrochent les passants,
Ils reviennent au rendez-vous,
Amoureux de frissons.
L’eau est verte,
L’eau est rose,
Le ciel est gris ou bleu ou mauve,
Une fenêtre ouverte
Ou bien mi-close,
C’est le clin d’œil de la guimauve,
Est-ce l’été
Ou le printemps ?
Y’a d’la fleur bleue
Dans tes étangs,
Y’a un air heureux
Qui fredonne doucement :
Les arbres sont (voir début)
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« La paix » 3 juin 92
Ca fait longtemps que tu n’m’as pas écrit de poème, dit-il
Ca fait longtemps que je n’ai plus d’insomnie, lui dis-je
Depuis un temps je me laisse bercer par les rimes faciles
Ne prenant plus le temps de ramasser les fleurs par leurs tiges
Je prends les pétales qui flottent et rentrent par les fenêtres
Sans même faire les colliers qui pourraient en naître
Je profite de la paix du temps qui passe et de ta présence
Et j’oublie d’en parler ou de décrire cette douce errance
Ca fait longtemps que je n’ai pas eu de tourment
Tout lentement je me suis endormie dans la confiance
Je ne sais plus où est rangé mon armement
Et m’inquiète peu de ce que les autres pensent
C’est vrai, j’écris moins parce que le jour est plein
De toute la poésie dont j’avais tant envie
Auprès de toi je n’ai plus de besoins
C’est toi ma rime, mon sonnet, mon quatrain
Ca fait longtemps que je n’t’avais écrit de poème
C’est justement parce que tu es là et que tu m’aimes !
« Notre âge d’or » 6 novembre 93
Toutes ces toiles qui se sont levées
Et qui ont franchi l’écluse
Ce sont des poèmes à main levée
Même s’ils sont peints je m’en excuse
J’ai écrit toute ma joie à la peinture
Céramique ou vitrail et cloisonné
J’ai fait des rimes en fioritures
J’ai fait des verts et j’ai prôné
Les chansons de la lumière dans l’air
Quand des gouttes d’inspiration perlent
Au bout des pinceaux qui s’éclairent
Et que les pots de couleur déferlent
Dans l’atelier la poésie c’était
Le gaspillage des mélanges savants
La folie de l’œuvre jetée
Et le clin d’œil à nos rêves d’enfants
Alors ne me dis pas que je n’ai rien écrit
Quand j’ai tracé tant de traits colorés
Quand j’ai tout chiffonné au White Spirit
Et quand j’ai fermé chaque soir à regret
Car je t’ai dédicacé tout un livre d’or
Celui que nous ouvrons ensemble
Depuis bientôt un an de notre âge d’or
Et qui brille le soir quand le port tremble.
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« Au téléphone un moment » 14 XII 93
Quand je suis énervée
Après la pause café
J’ai envie d’tout quitter
D’aller te retrouver
Mais je suis oppressée
Par le règlement
Je ne peux pas quitter
Le bureau pour l’instant
Il faut que je m’évade
Que j’aille au firmament
Et que je te retrouve
Au téléphone un moment
Mais ce n’est pas suffisant
Je voudrais tant
Partir réellement
Ce n’est pas amusant
D’écrire des poèmes
Entourée de carcans
Ca rend jaloux les gens
Qui ne pensent qu’à l’argent
On n’écrit pas pourtant
Pour gagner du temps
Mais pour en perdre au vent
Des courants fluctuants
Du rêve et des sentiments
Je pense bien souvent
A toi pendant le temps
Que je prends aux traitements.*
*(je travaillais au service des « traitements » [payes])
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« Vous avez l’âme belle » 13 février 1995
Quand je lis vos élans sur la toile
J’y vois la douceur, le tulle, les ailes
J’y sens la légèreté, la ligne est lisse
Même si la pâte est lourde ici ou là
C’est l’intérieur du livre qui rayonne
C’est la chaleur qui s’abandonne,
Illuminant ces peintures irréelles
Où l’œil comprend d’un regard le sel
De votre création, mon époux fidèle,
Vous avez l’âme belle.
« De vernissage en vernissage » 9 juillet 96
De vernissage en vernissage
Tu deviens de moins en moins sage
Tu mélanges toutes les couleurs
Tu fais des toiles-pétards
Pour dormir tu n’as plus d’heure
Tu te réveilles très très tard
Tu mets tout ton espoir
Dans la peinture et dans l’art
Et c’est très bien, tu as raison
Ce que tu fais est tellement bon !
Il faut que tu continues
Peins toujours, porte aux nues
Tes muses et t’amuses
Et plais nous encore et encore
Ce que tu fais est tellement fort !
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« CHERCHEURS DE TRESORS » 24 août 2003-
Je n’ai pas vu les années passer
On a pris le train ensemble
Nous sommes descendus à « cours devant »
Nous avons fait le marathon
La vie était un pot de bonbons
Qu’on a croqués avec nos dents
Elles étaient saines, elles étaient blanches
Nous étions fiers, nous étions beaux
Il en reste quelques photos
Dans le train ils se souviennent encore
De ces deux chercheurs de trésors
On l’a trouvé dans notre couple
La malle aux mille prodiges
On a bien ri, que dis-je ?
On a péri de rire
Et on est revenu sur terre
On n’a pas fait la guerre
Mais on s’est bien défendu
Avant de revenir nu
Comme au premier jour
On n’a peut-être pas tout vu
Mais nos yeux en ont volé des images
Nous étions gourmands de couleurs
C’était notre unique labeur
Si demain tu me laisses, partenaire,
Je ne sais pas si je saurai toujours faire
Sans toi j’oublierai un détail
Ma perspective aura le vertige
Mes pinceaux secs perdront leurs poils
Quand j’éteindrai les spots
Je trébucherai sur un couteau
Qui me parlera d’une voix sombre
Et inscrira dans la poussière
Cette phrase emprunte de mystère :
« Tu n’as pas vu les années passer ?
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« REVEIL »
Sur le buffet tout assagi
Un pétale recroquevillé
Par un effet de la magie
S’est doucement réveillé
Et remonte
A la tige
Se déplie
Se montre
Vertige
Multiplie
Toute la pièce est parfumée
D’un bouquet somptueux
Hier est parti en fumée
Demain naît quand tu veux.
19.04.1991
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« QUAND J’AI TOUT COMPRIS »
J’ai perdu la mémoire
De mes anciens déboires
Toutes les vieilles histoires
Les histoires d’un seul soir
J’ai perdu les miroirs
Reflets du désespoir
Oublié les tiroirs
Remplis de gros cafards
J’ai perdu les traits noirs
Tirés sur mes écritoires
Enterré l’répertoire
Des numéros transitoires
J’ai retrouvé mes esprits
Quand j’ai tout compris
J’ai gagné l’premier prix
Quand nous nous sommes épris
L’un de l’autre à l’abri
De tous les éboulis
A l’abri de l’oubli
Du repli du roulis
J’ai retrouvé la vie
Et je t’ai suivi
Tu m’as d’mandé mon avis
Et je t’ai dit, ravie :
« J’ai perdu la mémoire… »
10 01 1992
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« IL EST DEBOUT »
N’en déplaise à ces dames
Drapées dans leur dignité
Le pion je leur dame
En toute amitié
Car ce pion mes très chères
Etait le roi, remettez
Vos lunettes de chair
Laissez votre bois de côté
Observez le beau damier de nacre
Comment le jeu est disposé
La guerre déclarée, le massacre,
Et là, devant moi, bien posé
Il est debout celui qui défaillait
A votre dire c’était fini
Mais non il a gagné, ça-y-est !
La revanche et la belle aussi.
Date non notée (1993 environ)
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« L’ESCLAVE »
Qui est l’esclave de l’autre ?
Celui qui se soumet aux caprices
Ou celui qui se remet entre les mains
Du musicien du corps, l’apôtre
Du maître commandeur factice ;
Les fleurs éclosent sur le chemin,
La couronne du maître se vautre
Sur la peau de l’esclave complice,
Son or devient rouge carmin ;
Les dieux sont des nôtres
Le roi et l’esclave au fond de l’abysse
S’abreuvent du nectar humain.
15 JUIN 1991
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« Le cœur, le pique »
Chevalier des temps modernes
T’as fait la guerre des nerfs
T’as croisé le fer
Avec tes affaires
T’es pourtant pas une vieille baderne
Mais tu connais la musique
Le cœur, le pique
Tu tombes à pic !
T’as laissé devant ma porte
Toutes les choses inutiles
Les biens futiles
T’es venu dans mon île
Tout nu sans tes amours mortes
Refait à neuf
Lisse comme un œuf
Sans aucun bluff
Et t’es rentré dans mon univers
En catastrophe
Au cours d’une strophe
Tu t’es glissé sous mon étoffe
Just ’après l’hiver
C’était encore frissonnant
On savait pas comment
Et pourquoi maintenant
Mais depuis sans en savoir plus
On ne peut plus se séparer
Le printemps nous a préparés
L’été nous a mariés
Est-ce que l’on peut en dire plus
Personne ne sait seulement
Si avant d’être amants
Nous existions vraiment !
A Pierre, chanson, 18/09/1991.
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« LA MAGIE »
Abracadabra, abracadabra,
Ouvre-moi tes bras, abracadabra
Serre-moi contre toi, abracadabra
Et tu comprendras, abracadabra
Tout c’que je n’dis pas.
Abracadabra,
Et puis tu liras
Sur un bout de drap
Tout c’que tu voudras,
Tout c’qui s’écrit pas
Abracadabra,
Mais ce qui se voit, abracadabra,
Au travers d’la voix, abracadabra,
Qui jette à bout d’bras
Des sons qu’elle ose pas,
Qu’elle murmure tout bas,
Abracadabra,
La magie, c’est çà,
C’est toutes ces choses-là,
Qui passent par ici
Mais n’passent pas par là
Abracadabra
Ca y est, je crois
Que maintenant tu vois,
Abracadabra
Tous ces p’tits mots là
Que tu n’entends pas
Abracadabra,
Mais que j’pense tout bas
Oui je t’aime, c’est çà !
5 octobre 1994
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« L’ATELIER »
Entre l’école et ses rayons de soleil
Obliques,
Sur les tables pendant que l’on projète
Sa vie, au travers de toutes les futures toiles
Qui seront présentées,
Tout au long des années
La lumière s’arrête entre deux rêves,
On oublie les embûches qui grèvent
La peinture et lui donnent ses rides
Mais il suffit que la nuit revienne
Et les poumons reprennent
Leur amplitude ;
La muse réapparaît pour souffler son génie
Le cœur s’emballe et la main s’enflamme,
Le pinceau se précipite au flanc de la toile
Il escalade ou travaille en rappel,
Intrépide mais conscient de l’illustre mission
Et ne pose poils en bocal que lorsque c’est fini ;
Quand tout peut, demain, recommencer
Vite, l’atelier un jour nous balancera !
Rester encore accroché au fil d’Ariane
Et lancer ces ultimes tâches de plaisir
Ces couleurs qui nous pénètrent et
Ressortent par nos mains, sans pudeur.
20 JANVIER 1993
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« MON PROFIL »
Je connais un moteur
Qui jamais ne s’arrête
Et qui tourne au fil
De nos deux vies
C’est l’amour de ton cœur
La flèche qu’il projète
Et qui s’enroule au fil
De toutes mes envies
Ton regard aux senteurs
De roses et de violettes
Fleurit mon profil
Et me ravit
Je t’envoie d’autres fleurs
Avec mon arbalète
Quelques perles sans fil
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« À MARRAKECH »
Les yeux clos sous le hâle du drap bleu métal,
Les oreilles perchées dans le palmier brassé par le vent chaud,
Lorsque je fermerai les yeux encore je chercherai ce tranquille ensommeillement,
Ensoleillement,
Je chercherai à entendre de nouveau les palmes pianotant l’air
De leurs longs doigts aux ongles verts.
Et aussi la fraîcheur de l’eau après la cuisson de la peau.
Et aussi la sensation d’être hors du temps,
Non loin des remparts de l’âme,
Un pied sur la terre rouge
Et un pied sur le rêve à demi effacé d’un thé fumant.
Il restera à MARRAKECH un garçon espiègle, pas très grand,
Qui regardera passer les avions retournant à la réalité.
4 MAI 1991
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