Un doux petit rêveur
Benjamin se sentait seul sur cette presqu’île où tout n’est qu’oubli et sur laquelle on prend soin de ranger au grenier de sa mémoire quelques pénibles souvenirs. Dans cette lointaine contrée, on avait l’habitude de gommer le passé et de négliger l’avenir, de sorte qu’il ne restait plus que le présent à vivre ou à se laisser vivre.
Benjamin n’avait pas un tempérament solitaire, et pourtant il ne fréquentait quasiment personne. Ou, pour être plus juste, il ne recevait la visite que de très peu de monde. En tout cas, trop peu pour s’y attarder. Il y avait bien ce compagnon un peu rebelle, mais c’était un personnage espiègle qui allait et venait au gré de ses envies. Petit blond au cheveu hirsute, il était vêtu de quelques guenilles poussiéreuses et chaussait des souliers aux semelles usées.
Il n’avait jamais pris la peine de se présenter mais Benjamin se plaisait à l’appeler Fil. Il est vrai que ce compagnon avait un petit côté filou et que sa présence fut ressentie pour la première fois au pied d’un filao. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle ce surnom lui vint à l’esprit.
Extrait de "Un Doux petit rêveur" (Montmoreau: Les 2 encres, 2012).
Pourquoi "Un doux petit rêveur" ?
La république des lettres — Sep 13, 2012 —
Cette histoire a germé dans mon esprit à la quatrième lecture du Petit Prince (1943) d’Antoine de Saint-Exupéry, conte philosophique que je relis avec un regard neuf à une décennie d’intervalle depuis l’âge de sept ans. J’ai reconnu en ce jeune enfant – isolé, excentré et le plus souvent confiné dans son propre monde – autant la condition des écrivains et des insulaires postcoloniaux du Pacifique que celle des personnes qui souffrent de troubles envahissants du développement (TED). Ces situations analogues m’ont permis de développer deux fils que j’ai tressés en raccordant au premier qui tirait sur le merveilleux afin de les nouer ensemble.
Un doux petit rêveur se veut à la fois un apologue philosophique et une fable postcoloniale pour adultes, même si ce court texte de fiction prend l’apparence d’un conte moderne destiné à un plus jeune public. Le trait saillant de cette histoire est l’ambiguïté qui offre des possibilités de lecture multiples, brouille les positionnements clairs et tranchés et gomme la ligne de partage entre raison et déraison, représentation de la réalité et représentation onirique, perception et imagination.
Jean-François Vernay
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